Etats-Unis : certains espaces de discussion bénéficient d’un régime allégé de responsabilité

de | juin 26, 2003

Une cour d’appel américaine vient de rejeter la plainte déposée à l’encontre du modérateur d’un espace de discussion qui avait procédé à la diffusion d’un message diffamatoire. Elle lui fait ainsi bénéficier du régime dérogatoire propre à certains intermédiaires techniques.

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Dans une décision du 24 juin 2003 [findlaw.com], la Cour d’appel des Etats-Unis du 9ème circuit vient de rejeter le recours déposé à l’encontre de l’administrateur d’une liste de discussion qui avait diffusé un message diffamatoire adressé par un abonné à cette liste. Les juges se fondent, à cette fin, sur les dispositions de la section 230 duCommunication Decency Act de 1996. Ce texte précise que « No provider or user of an interactive computer service shall be treated as the publisher or speaker of any information provided by another information content provider« . Ce texte évite ainsi qu’un intermédiaire technique ne soit poursuivi pour des contenus auquel il permet d’accéder et dont il n’est pas l’auteur. Traditionnellement appliqué aux hébergeurs et aux fournisseurs d’accès, ce texte avait été récemment étendu aux sites de ventes aux enchères en ligne à la suite de la publication de commentaires diffamatoires postés par des internautes.

Dans la présente décision, les faits étaient relativement intéressants. Robert Smith, travailleurs saisonnier, réalisa au cours de l’été 1999 des travaux de rénovations dans la maison d’Ellen Batzel. A cette occasion, Ellen Batzel lui indique qu’elle est en fait la petite-fille d’un des bras droits d’Adolphe Hitler et que les peintures qui se trouvent sur les murs proviennent de saisies effectuées par Heinrich Himmler. Souhaitant dénoncer cette situation, Robert Smith envoie un message au site Museum Security Network administré par Ton Cremers, alors directeur de la sécurité duRijksmuseum d’Amsterdam. Ce dernier décide de transférer ce message d’une part aux abonnés de la liste de discussion et d’autre part, le publie directement sur le site.

Contestant les propos qui lui sont attribués, Ellen Batzel décida d’attaquer en justice Ron Cremers pour diffamation. Après un premier rejet de la plainte, la Cour d’appel des Etats-Unis du 9ème circuit fut saisie du litige et dû tout d’abord apprécier le statut de Ton Cremers et vérifier si celui-ci ne pouvait bénéficier du régime protecteur de la section 230.

Après un examen minutieux du texte, se référant notamment à sa genèse, les juges estiment que Ron Cremers ne peut être regardé comme l’auteur du message dès lors que « son rôle s’est réduit à sélectionner le message et à réaliser des modifications mineures du courrier électronique« . Dans ces conditions, les juges lui font bénéficier du régime protecteur applicable aux intermédiaires techniques.

Une question supplémentaire se posait dans cette affaire. En effet, Robert Smith, lors de l’envoi de son message, n’avait pas l’intention que celui-ci soit ensuite rendu publique sur un site internet ou dans la liste de discussion. Les juges ont donc dû apprécier si Ron Cremers avait, dans ces conditions, agit en tant qu’intermédiaire. Les juges relèvent qu’un tel acteur doit être considéré comme auteur des propos dès lors « qu’il sait ou a des raisons de savoir que l’information fournie n’était pas destinée à être publiée sur un site internet« . Selon les juges, tel pourrait être le cas d’un courrier postal adressé par un ancien ami.

A l’inverse, « quand la personne qui a créé le document en question, l’a fourni à un intermédiaire dans des conditions où une personne lambda jouant ce rôle en aurait conclu que le document était destiné à une publication sur l’internet », l’intermédiaire est en droit de bénéficier du régime de la section 230 du CDA.

Rappelons qu’en France, une telle extension du champ d’application du régime de responsabilité allégée applicable aux hébergeurs et fournisseurs d’accès à l’internet pourrait avoir lieu. En effet, dans son avis du 6 février 2003, Le Forum des droits sur l’internet recommandait au législateur de prévoir une définition de l’hébergement permettant d’ »englober l’ensemble des activités d’intermédiation des personnes exerçant une prestation similaire à celle de l’hébergement, comme par exemple certains fournisseurs et exploitants de forums de discussion ou certaines activités de courtage en ligne« . Cet objectif ne pouvait être atteint sans supprimer la notion de stockage « direct et permanent » de la définition d’hébergeur. Non suivi lors de la première lecture du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique par les députés le 26 février 2003, les sénateurs y ont accédé favorablement en adoptant, le 25 juin 2003, un amendement visant à remplacer les termes « direct et permanent » par celui de « durable« .

Cette définition, désormais plus conforme à la directive européenne sur le commerce électronique, va ainsi permettre de faire bénéficier du régime de responsabilité des hébergeurs l’ensemble des personnes exerçant des activités similaires et en particulier, certains exploitants de forums de discussion.

Ainsi, les forums de discussion seront susceptibles de relever de régimes de responsabilité différents pour les « infractions de presse » (diffamation, injure, message raciste) selon leur nature. Dans le but de faciliter le choix que devront réaliser les juges, le Forum des droits sur l’internet publiera, le 10 juillet 2003, au sein de sa recommandation relative aux forums de discussion, une grille de lecture déterminant le régime juridique applicable à chaque type de forums.

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